Errance

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Après avoir identifié (sutra II.3) les sources des souffrances qui nous affligent, Patanjali précise, au sutra II.4, que la première, avidya, l’ignorance (ou errance, aveuglement) est la source de toutes les souffrances, qu’elles soient latentes, faibles, intermittentes ou pleinement manifestées.
Ensuite Patanjali définit avidya :

II.5 Anitya asuci duhkha anatmasu nitya suci sukha atma khyatih avidya
Anitya : impermanent
Asuci : impur
Duhkha : souffrance, détresse, chagrin
Anatmasu : différent de l’âme, ce qui n’est pas le Soi
Nitya : éternel, permanent, constant
Suci : pur
Sukha : joie
Atma : âme, le Soi
Khyatih : opinion, point de vue, idée
Avidya : ignorance, aveuglement, absence de sagesse, errance.

L’ignorance, c’est confondre ce qui est transitoire avec ce qui est permanent, ce qui est impur avec ce qui est pur, la souffrance avec la joie et ce qui n’est pas le Soi avec le Soi.

Nous sommes dans l’ignorance spirituelle quand nous oublions l’essentiel.
Yoga veut dire union. Être en union avec notre nature profonde. Cela veut dire être en contact avec la paix, la joie, la sérénité qui sont en nous.
Mais la plupart du temps, nous sommes en errance. Et plutôt que d’être en union, nous sommes décentrés, désunis. Nous nous éloignons de la source, nous la perdons de vue et la souffrance s’installe. Nous peinons ensuite à retrouver la route vers notre demeure intérieure. N’oublions pas que cette source de sagesse est toujours présente. Il suffit d’enlever le superflu pour la retrouver.

À bientôt


La recette

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J’ai commencé à écrire ces billets le 19 mars 2020. Une petite tentative d’apporter un peu de lumière, une petite lueur dans ces jours plutôt nuageux. Je m’inspire très librement des Yoga Sutra de Patanjali, source inépuisable de sagesse et de lumière.

Jusqu’ici, nous avons parlé de certains Sutra du premier chapitre, Samadhi Pada. Ce chapitre évoque le but, l’objectif du yoga, -samadhi- quand les fluctuations du mental cessent et que l’âme peut s’établir et resplendir, quand la sérénité s’établit.
Le deuxième chapitre s’intitule Sadhana Pada.
Sadhana peut se traduire par quête, cheminement, effort pour atteindre un objectif, chemin spirituel, ascèse, pratique.
Voici le premier sutra de ce deuxième chapitre :
II.1 Tapah svadhyaya Isvarapranidhanani kriyayogah
Tapas : ascèse, autodiscipline, feu sacré, pratique régulière et sérieuse
Svadhyaya : étude de soi et de textes sacrés
Isvara pranidhanani : abandon au divin, à sa foi personnelle.
Kriyayogah : yoga de l’action
Un effort soutenu, l’étude de soi et l’abandon au divin sont les actes du yoga.

Voilà les trois ingrédients de la recette. : pratique régulière et sérieuse, étude de soi, abandon.
Selon B.K.S. Iyengar, les disciplines de purification des trois composantes de l’être humain, le corps, la parole et le mental, constituent le kriyayoga, le chemin vers la perfection.Nos corps sont purifiés par l’autodiscipline (tapas), nos paroles par l’étude de soi (svadhyaya) et nos esprits par l’amour et l’abandon (ishvara pranidhanani).

Il dit aussi que la pratique (tapas) représente la vie, l’étude de soi (svadhyaya) donne la sagesse et l’abandon (Ishvara pranidanani) donne l’humilité qui mène à la lumière.

S’il y a une croyance que nous pouvons tous partager, c’est qu’il y a en chacun de nous cette lumière, cette grâce, cette noblesse qui peut émerger si nous lui laissons la voie libre.

Pratique, étude de soi, abandon au divin. La recette vers la plénitude.

À bientôt


Souffler

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Pour la première fois, au sutra I.34, Patanjali nous parle de la respiration, toujours dans l’idée de nous donner des moyens pour faire face aux obstacles et atteindre cittaprasadana, le rayonnement serein de la conscience.
I.34 Pracchardana vidharanabhyam va pranasya
On parvient aux mêmes effets (rayonnement serein de la conscience) en maintenant l’état de recueillement ressenti lorsqu’on fait des expirations douces et régulières suivies de rétention passive.
Pracchardana : expiration
Vidharanabhyam : arrêt, rétention
Va : ou bien, aussi
Pranasya : respiration, souffle.

On ne dira jamais assez l’importance de poser notre attention sur le souffle. Le premier signe de vie du nouveau-né est l’inspiration et le dernier signe de vie avant la mort est l’expiration. C’est un lieu commun de dire que la respiration, c’est la vie. Hélas, comme nous l’oublions facilement…
Le souffle, c’est le cadeau de la vie. Il nous visite et repart. On ne le possède pas. C’est notre nourriture la plus précieuse mais elle ne nous appartient pas. Je peux dire voici ma pomme, voici mon idée, mais je ne peux pas dire voici mon air…Le souffle ne s’installe pas en nous et ne laisse pas d’empreinte. Il nous nourrit et nous nettoie et s’en va. Avant de revenir.
Poser l’attention sur le souffle, c’est se rappeler que nous sommes vivants. Gratitude.

Dans le sutra I.34, Patanjali nous parle d’expiration.
Petite pratique :
Je suggère de vous allonger sur le dos, idéalement avec un support sous le dos pour ouvrir la poitrine (une ou deux couvertures ou un traversin). Supporter la tête. (Si le bas de dos est sensible, placez un rouleau sous les genoux).
Prenez quelques instants pour vous détendre. Laissez chaque partie du corps se détendre.
Ensuite, commencez à observer le souffle. Observez son mouvement dans le corps.
Observer le mouvement de l’inspiration, observez le mouvement de l’expiration.
Observer le moment ou l’inspiration s’achève et observez le moment ou l’exspiration commence.
Observez le moment ou l’expiration s’achève et observez le moment ou l’inspiration commence.
Quand vous êtes dans ce moment ou l’expiration s’achève, avant que l’inspiration ne commence, abandonnez-vous. Puis, laissez l’inspiration se faire. Et, à nouveau, à la fin de l’expiration, abandonnez-vous.
Répétez cette respiration quelques fois. Sans forcer quoi que ce soit. Le souffle reste doux, subtil et s’allongera peu à peu. (Vous devez observer plus que faire).
Ensuite, détendez-vous complètement quelques instants en laissant la respiration se faire d’elle-même.
Voilà une façon simple de reprendre contact avec le souffle.

Pour quelques instants, plutôt que d’oublier le souffle et de l’obliger à suivre le rythme de notre activité physique, psychologique ou mentale, revenons au souffle et alignons-nous avec lui..
Selon Prashant Iyengar, comme l’eau dissout le sel ou le sucre, le contrôle du souffle peut dissoudre les défauts du mental. L’ego aussi se dissout.
« À l’expiration, nous cessons d’être quelqu’un (alors qu’en inspirant, nous redevenons quelqu’un). Demeurer un moment dans cette dissolution permet de dénouer des nœuds.. » Bouchart D’Orval.

Gratitude envers le souffle.
Gratitude envers la vie.


La lumière

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On nous dit : Tu es poussière et tu redeviendras poussière. C’est vrai.
Mais plus important, plus vrai, tu es lumière, nous sommes lumière.
Restons dans la lumière.
Voici mes inspirations du jour :

De Shabkar, maître tibétain du XIXe siècle :

Pur, lumineux, éveillé,
À jamais éveillé et transparent.
Laisse ton esprit au repos,
Ouvert et sans attache.
Puisse la sagesse de la vacuité se manifester,
Immaculée et transparente comme le ciel.

Et de Shams de Tabriz :
Ne tente pas de résister aux changements qui s’imposent à toi. Au contraire, laisse la vie continuer en toi. Et ne t’inquiète pas que ta vie soit sens dessus dessous. Comment sais –tu que le sens auquel tu es habitué est meilleur que celui à venir ?
Bon dimanche


Entre les deux rives

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Yama
Outre ahimsa : la non-violence, yama inclut satya : la vérité, asteya : ne pas voler, ne pas prendre, brahmacarya : continence, modération et finalement, aparigraha : absence d’avidité, liberté face aux désirs.
Les deux premiers principes énoncés, non-violence et vérité peuvent aussi être des guides précieux dans la pratique des asana. B.K.S. Iyengar évoquait fréquemment ces deux principes et disait que toujours, dans la pratique, on devait s’assurer de rester entre les rives de ahimsa et satya. Reconnaître dans notre pratique l’état de notre corps et de notre mental, apprendre à observer et tenir compte de nos observations, tout cela nous permet d’évoluer à l’intérieur des rives de ahimsa et satya. Comment trouver la vérité, l’honnêteté dans la posture. D’abord, il faut observer, voir, sentir. Par exemple, ai-je bien aligné mes pieds, le poids du corps est-il réparti également, est-ce que j’utilise également les deux côtés de mon corps? Une fois que j’ai observé une faiblesse, une asymétrie, quelle sera mon attitude? Rester là ou ajuster, corriger? Rester là implique un laisser-faire, qui a plus à voir avec la violence qu’avec la non-violence. Il faut du courage pour changer et le yoga nous aide à développer ce courage.
Quand la droite et la gauche sont intégrées, on se trouve en présence de la vérité. La véritable non-violence, c’est cet équilibre entre les deux dit B.K.S. Iyengar
Gandhi disait qu’il faut chercher l’étreinte de la vérité. « Ahimsa (non-violence) est le moyen, satya (vérité) est le but. La vérité doit constituer le cœur de notre activité. Dès qu’elle est débarrassée des toiles d’araignées de l’ignorance, la vérité brille avec éclat ». Ghandi.
Mon professeur Faeq Biria, racontait l’histoire suivante :
Vous êtes dans un grenier, dans l’obscurité. Quelqu’un vient et allume. Tout à coup vous voyez ce qui vous entoure ; des trésors oubliés peut-être mais surtout la poussière, les toiles d’araignées, les araignées… Que faire alors? Peut-on éteindre et faire comme si on n’avait rien vu?
Dans la pratique comme dans la vie, avançons, impeccables, entre les rives de ahimsa et satya.
Soyons braves.
Prenez soin de vous et des vôtres.
Respirez.
À bientôt